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Himmler enlevait ses bottes pour ne pas réveiller ses canaris.

 

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Bois peint, laiton, acier, résines et fibranne.
H.177, L.106, P.86 (2002).
 

L’idée de l’auteur, en se passant commande de cette sculpture, était de réaliser une œuvre sans ambages qui permette à une personne de sensibilité moyenne, et dépourvue d’une culture générale convenable, de se faire une idée de ce que fut l’âme nationale-socialiste. Il s’est donc imposé un cahier des charges assez strict, afin d’obtenir la meilleure efficacité. En voici un résumé : Construire une structure simple, d’aspect sévère et administratif, qui permette de présenter deux éléments à forte charge émotionnelle. L’un s’imposant par une évidence dramatique, l’autre demandant une lecture plus complexe, qui révélerait progressivement une réalité imparable. Des textes d’accompagnement défiant l’entendement seraient souhaitables.
L’ouvrage étant terminé, on ne peut que rendre hommage au sculpteur pour l’exceptionnelle fidélité avec laquelle il a suivi ces contraintes, obser-vance fort rare dans le milieu artistique.
Nous allons maintenant tenter d’expliquer l’engin.
Pour son aspect général, l’auteur s’est inspiré des chevalets sur lesquels, dans les camps de concentration, on plaquait, attachés, les détenus pour les battre. Mais celui-ci est plus élaboré car il est muni de roues, et de poignées pour le piloter. Il est aussi démontable.
On ne peut aller plus loin sans signaler que des objets ou des matériaux figurant sur les œuvres de ce sculpteur ont pour lui une fonction de témoi-gnage car ils sont, au même titre que des personnes, spectateurs des événe-ments. Par exemple, pour la pièce n° 67 : Sainte-Hélène. Jeudi 5 février 1818. Napoléon observe des blattes, il avait fait venir de la terre authentique du jardin de Longwood.
C’est ainsi que l’auteur a choisi de présenter sur l’avers de l’engin le ze-bra (uniforme commun à tous les KL1) que son père, François Faure, com-pagnon de la Libération, déporté NN2, porta de 1943 à 1945 dans les camps de Natzweiler-Struthof en Alsace, et de Dachau en Bavière. Il parlait très peu de la déportation, sauf sans doute avec ses camarades, mais, au fil des années, il confia deux souvenirs à son fils, que nous allons rapporter, et que le zebra a partagé.
Le premier se situe dans l’été 1943, au camp de Struthof. Quelques jours après son arrivée, un jeune Russe, encore tout frais, trouve une sorte de perche. Prenant son élan, il parvient à franchir d’un bond les barbelés électrifiés, et se retrouve de l’autre côté. Il détale aussitôt et disparaît au milieu des sapins de la forêt vosgienne. Les SS et les chiens se lancent à sa poursuite et le ramènent.
Le commandant du camp, SS-Hauptsturmführer Josef Kramer (qui commanda ensuite Bergen-Belsen et fut pendu par les Anglais) réunit tout le camp sur la place d’appel – où se dresse la potence – et promet la vie sauve au jeune Russe s’il réédite son exploit. Tout le camp au garde-à-vous regarde le garçon saisir la perche, s’élancer, s’envoler, et réussir.
Il est reconduit dans le camp et pendu.
Le deuxième événement où le zebra est présent se rapporte à la nuit de Noël 1943, au Revier du Struthof, baraque-infirmerie où les soins sont quasi-inexistants et que ravage le typhus. Quand François Faure, atteint par l’épidémie, y est admis, il souffre depuis plusieurs semaines d’une grave morsure au mollet sérieusement entamé par un chien SS lancé sur lui. Les asticots qui occupent la plaie le sauveront de la gangrène. Cette nuit est très dure, et certains n’atteindront pas le matin. Noël dé-molit le moral des à peine vivants qui pensent à leur famille, dans tous les coins de l’Europe, et qu’ils croient ne plus jamais revoir. Le Français qui occupe le châlit au-dessus de François Faure, désespéré, tente de se pendre avec sa ceinture. Il sera aidé pour cela pas ses voisins encore capables de se tenir debout.
Il nous faut maintenant aborder le revers de la sculpture.
Là encore l’auteur s’est attaché à suivre point par point le cahier des charges. Peu d’années après l’arrivée au pouvoir de Hitler, la mise en place d’une puissante propagande antisémite s’adressant même aux enfants ne pouvait qu’aboutir à la solution finale (Endlösung). Il s’imposait donc de présenter sur cet engin un document qui porterait en lui l’évidence que, dans les an-nées trente, avant la Nuit de Cristal de 1938 et la conférence de Wannsee de 1942, la création de camps d’extermination pour les Juifs était inéluctable. Voici donc la reproduction d’une sorte de jeu de l’oie impeccablement édité à Dresde en 1936, et annoncé comme un passe-temps hilarant et fol-lement d’actualité pour petits et grands. Cela s’appelle Juden Raus ! Les Juifs dehors ! et le joueur qui sera parvenu à expulser six Juifs d’une ville (entièrement occupée par des magasins juifs) aura gagné.
Il ne serait pas très équitable de rendre les seuls Allemands responsables de la Shoah. Ils ont bien sûr imaginé la liquidation industrielle des Juifs, mais ils ne furent pas les seuls fournisseurs de la machine.
Le 29 mai 1942, Jean Cocteau déjeune avec Arno Breker qui lui dit, parlant de Hitler : Jamais la France ne se retrouvera en face d’un homme aussi sensible. Cette France, dont la majorité des citoyens – quoique peu sensibles à la sensibilité de Hitler – ne voyait pas d’inconvénient à la déportation des Juifs, dans l’ignorance où elle était de leur extermination planifiée, ce qui n’a rien d’une excuse. Beaucoup, par haine recuite, s’en félicitaient. Cer-tains, en assez grand nombre, contribuèrent à l’hallali. De bons Français par dénonciation civique, d’autres par intérêt. La récupération d’appartements de Juifs fut, par exemple, très en vogue durant ces belles années dans les professions libérales. Hauts et bas fonctionnaires, policiers, gendarmes, agents des chemins de fer, d’autres encore, prêtèrent leur concours à cette honorable entreprise. Par bonheur on a aussi vu dans ces professions – ainsi que dans toutes les classes de la société – des individualités admirables qui prirent le risque de protéger les persécutés. Mais rien ne pourra racheter, dans la conscience de ce pays, la promulgation des lois de 1940 sur les statut des Juifs, devançant tout pression allemande. Pur génie littéraire gâté, dès sa prime enfance, par l’antisémitisme populacier de l’affaire Dreyfus, Louis Ferdinand Céline écrivait : Volatiliser sa juiverie serait l’affaire d’une semaine pour une nation bien décidée.
C’était dans une lettre ouverte à Jacques Doriot, en mars 1942. On allait imposer l’étoile jaune, puis ce fut le Vel’d’Hiv et Drançy

1. Konzentration Lager. [retour]
2. Nacht und Nebel. Classement SS pour les déportés condamnés à disparaître dans la Nuit et le Brouillard. [retour]


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