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Bêtise de l'intelligence.

     

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Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir

Bois peint, rèsines, laiton, roulements à billes, masque Gouro, portrait chinois de Staline et calotte crânienne thibétaine.
H.193, L.124, P.54 cm (1994).

À CONSULTER

Arthur Koestler
Arthur Koestler
Oeuvres autobiographiques
Edition établie par Phil Casoar
Collection Bouquins. Robert Laffont (1994).


Pierre Pachet
Jean-Louis Faure et Pierre Pachet
Bêtise de l'intelligence
Editions joca seria (1995).

Jean-Louis Faure
Clémence de Biéville
Trente-six sculptures de Jean-Louis Faure
Editions joca seria.

 

 

Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir refusant de serrer la main d'Arthur Koestler.

En entreprenant cette sculpture l'auteur avait pour ambition de fixer un événement d'une grande signification symbolique pour l'histoire des idées au XXe siècle. Il s'agissait de montrer le moment exact où toute ambiguïté s'efface au profit d'une confrontation inévitable.
Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir rencontrent Arthur Koestler. Ils pivotent sur eux-mêmes pour ne pas lui serrer la main. Ils ne font qu'un. Pour eux, Koestler est un assez dangereux cosmopolite, passé aux Américains. Ils le voient donc avec la peau jaune du traître, une tête moitié tibétaine, moitié africaine, et recevant ses ordres de la CIA par l'intermédiaire d'un entonnoir fiché dans son dos. Le portrait guilleret de Staline, objet de la dissension, s'étale sous leurs pieds. Un flot de sang jaillit de sinueuses canalisations qui servent de piétement à la sculpture.
Il nous faut maintenant situer les acteurs et, pour cela, revenir aux années trente et quarante qui virent la montée puis l'affrontement de deux des plus sinistres sornettes jamais imaginées par l'homme, et qui lui coûtèrent des dizaines de millions de morts.
Ce fut pour permettre au Komintern, au moment de la guerre d'Espagne, de berner et d'asservir tant et tant d'intellectuels du monde entier - appelés par Lénine indispensables cons et, plus élégamment, compagnons de route - que les services soviétiques de Willi Münzenberg mirent en avant l'Anti-fascisme - qui fit une si belle carrière - relayé durant la guerre froide par un astucieux substitut stalinien, les Partisans de la Paix. Cette dernière organisation trompa bien des innocents. Une tante du sculpteur, femme délicieuse, y travailla et pleura à la mort de Staline. Son neveu garde précieusement le dernier bordereau de sa retraite du KGB, encore payée sous Yeltsine.
Mais le Diable porte pierre et nous savons depuis soixante ans que c'est au formidable courage du peuple russe que l'on doit la défaite de la Wehrmacht, saignée à blanc pendant quatre longues années, de Leningrad à la mer Noire et de Moscou à Berlin. Plus de vingt et un millions de Soviétiques disparurent. On ne saurait trop insister sur la disproportion des mérites dans la victoire des Alliés sur Hitler, quand on sait que l'Armée Rouge perdit trois cent mille hommes durant l'offensive finale sur Berlin, c'est-à-dire la totalité des pertes américaines sur tous les fronts pour toute la Seconde Guerre mondiale.
Mais revenons à la sculpture qui nous occupe. Deux grands artistes, Arthur Koestler et George Orwell, ont résisté au formidable appareil stalinien grâce à une expérience personnelle incomparable. Les drames de cette altitude ont le mérite de révéler la nature profonde de certains êtres, que leur caractère et leur intelligence acculent à une clairvoyance que bien peu leur disputent.
Tous deux savaient parfaitement de quoi il retournait. Koestler, agent du Komintern, attend plusieurs mois dans une prison franquiste qu'on le fusille et Orwell, qui combat sur le front d'Aragon dans les rangs du POUM, assiste à la liquidation des trotskistes et des anarchistes par les staliniens, lesquels, rentrés au pays, sont massacrés à leur tour par leurs vieux compagnons de lutte. Orwell écrivit plus tard 1984, et Koestler, Le Zéro et l'Infini qui démonta les procès de Moscou pour une audience mondiale et terrorisa les communistes, sa vérité dessillant bien des yeux. L'auteur devint la bête immonde qu'il fallait abattre à tout prix, en le déshonorant pour le dépouiller de toute crédibilité. Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir, d'une naïveté fort répandue dans le Saint-Germain-des-Prés de l'époque, furent d'autant plus sensibles à ce chant des sirènes que, durant la guerre, des préoccupations presque uniquement littéraires leur avaient interdit de trop s'éloigner de la moleskine du Flore. Les voilà pourtant forcés de jouer leur rôle de composition dans le gigantesque opéra que De Gaulle met en scène pour réviser l'Histoire et dont les communistes donnent le ton : La France fut Résistante.
Ils se méfièrent donc de ce très séduisant aventurier, qui poursuivit jusqu'à sa mort volontaire une recherche sans repos, toute de lucidité et de courage.


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