Le père de l'auteur, en 1979, acheta un petit appartement mitoyen du sien, boulevard Saint-Germain, à Paris. Une vieille demoiselle qui l'habitait depuis 1919, venait d'y mourir. On fit quelques travaux et il fallut détruire un petit placard. C'est alors qu'apparut, punaisée à l'intérieur mais hors de vue lorsqu'on en ouvrait les portes, une enveloppe bleu pâle expédiée de la poste de la rue Milton, à Paris (9ème) le 7 décembre 1913 à 18 heures. Elle était adressée à Monsieur Lucien, professeur de tango au skating St Didier, rue St Didier, en ville. L'écriture est celle d'une dame impérieuse, à l'aise, et relativement peu éduquée : « ... je n'ai pu vous causer... je ne vous fixe pas de suite... »
Voici la lettre :
« Cher Monsieur,
Je suis une de vos admiratrices du Tango et j'ai le plus grand désir de faire votre connaissance.
Étant accompagnée de mon mari je n'ai pu vous causer mais j'en brûle d'envie.
Ne connaissant pas vos heures de liberté je ne vous fixe pas de suite un rendez-vous, mais indiquez-moi par un mot poste restante l'heure, le jour et l'endroit où j'aurais le bonheur de vous voir. Je suis heureuse à la pensée de vous avoir à moi quelques instants.
Tendrement à vous.
W.M.J. n^o24
poste restante Avenue Bosquet
Je passerai à la poste mardi.
Si cela vous arrangeait pour mercredi je serai en taxi devant St Honoré d'Eylau à 3 heures ET JE VOUS ENLÈVERAIS. »
Monsieur Lucien, séduit par cette intrépide, a dû céder. Il a caché la lettre (assez froissée, donc souvent lue) hors de la vue de sa femme. Huit mois plus tard, il partait pour la guerre.
Il n'est jamais revenu, et la lettre est restée soixante-six ans dans l'ombre du placard.

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